Le Pendule Oui ou Non

Opinions des savants au sujet de la baguette et du pendule

On a donné le nom de baguette divinatoire à un rameau d'aune, de hêtre de pommier mais surtout de coudrier ayant la propriété de faire découvrir les sources, les mines, les trésors cachés, les voleurs et les meurtriers fugitifs! Depuis quelque temps son emploi, après un moment d'oubli, devenant assez fréquent dans nos contrées il est peut être utile, sûrement agréable, d'en connaître l'histoire et ce qu'en ont pensé les savants de toutes les époques.

Instruments de radiesthésie

L'histoire de la baguette

La baguette a fait son apparition vers le XVIe ou XVIIe siècle. On la coupait dans le jet de l'année un peu avant minuit en prononçant des paroles cabalistiques. On la consacrait ensuite d'après des formules magistrales. Les magiciens, les astrologues, les sorciers, les bacillogires en étaient munis. Dans leurs mains elle tournait d'elle-même comme si elle obéissait à une impulsion surnaturelle. Au dessus d'une source ou d'une nappe d'eau souterraine elle se redressait brusquement.

Dès son apparition, la baguette elle-même, et, surtout, son pouvoir, furent le sujet de controverses violentes. Les uns nièrent catégoriquement ce pouvoir, d'autres, l'attribuèrent à une influence diabolique, d'autres, enfin, l'adoptèrent comme une chose évidente mais dont le merveilleux n'était pas, humainement, explicable. Et, de ceux qui se servaient de la baguette, on pouvait, aussi, distinguer deux camps fort opposés: celui des croyants, cultivant avec naïveté l'art ou le secret de la baguette et ayant une confiance parfaite dans ses résultats, celui des habiles qui exerçaient un métier lucratif et, dans les mains desquels, la baguette tournait à volonté sous l'influence de ce qu'on appelle vulgairement le « coup de pouce ».

Depuis le XVIe siècle la discussion s'est poursuivie entre les croyants et les incroyants, les naïfs et les habiles, les savants et les mystiques. En ne retenant que le pouvoir de découvrir les sources, nous allons essayer de donner, sans aucun parti-pris, un rapide aperçu de ces différentes manières d'affirmer ou de juger la baguette, laissant le lecteur seul juge de ces extraits.

Nous disons un rapide aperçu. En effet il nous serait très difficile d'épuiser tous les auteurs qui ont écrit sur la baguette, cette question ayant fait, au cours des siècles, couler autant d'encre que d'eau !

Peu après son apparition, la baguette vulgarisa son pouvoir divinatoire, tant à la cour qu'à la ville, avec l'aventure de Jacques Aymar, paysan de Saint-Vérand en Dauphiné, qui, en 1692, assura que la baguette lui permettrait de découvrir un assassin. Cet homme fut conduit à Lyon à l'emplacement où un crime venait d'être commis. Guidé par sa baguette, il descendit le Rhône jusqu'à Beaucaire et désigna le meurtrier au milieu de douze prisonniers. Dans toute l'Europe centrale, il ne fut question que de ce fait miraculeux. Aussi le fils du Grand Condé fit-il venir Aymard à Paris dans le but d'y découvrir des sources. Mais, à Versailles comme à Chantilly, aucun résultat ne fut obtenu. On sut, plus tard, que la découverte de Beaucaire n'avait eu lieu que grâce à la connivence de la police et que les oscillations de la baguette n'y étaient pour rien.

La baguette faisant, ainsi, beaucoup de bruit et les théologiens criant, bien haut, à l'intervention diabolique, un grand nombre de personnes se décidèrent à étudier ce mystérieux rameau.

Dès 1760, le Dictionnaire des Merveilles avait essayé d'en donner une explication d'ailleurs très embrouillée: "Il n'est point autrement de la baguette que de l'aimant; les particules aqueuses, les vapeurs qui s'exhalent de la terre et qui s'élèvent, trouvant un libre accès dans la tige de la branche fourchue, s'y réunissent, l'appesantissent, repoussent l'air ou la matière du milieu (la moelle du bois). La matière chassée revient sur la tige appesantie lui donne la direction des vapeurs et la fait pencher sur la terre pour nous avertir qu'il y a sous nos pieds une source d'eau vive..."

Tous les scientifiques ont voulu marcher sur les traces des auteurs du dictionnaire. En commençant par le père Kircher "l'un des premiers qui ait jugé sainement la baguette" pour aboutir au siècle dernier, nous allons suivre ces savants dans leur exposition, leurs déductions, leur jugement.

Le père Kircher dit que si le mouvement de la baguette ne provient pas d'un jeu ou d'une fourberie de celui qui la tient, il n'est pas naturel!

Le père Lebrun de l'Oratoire frappé des désordres qui pouvaient être la conséquence de ces pratiques soumit à un examen critique tous les faits qu'il pût recueillir. L'Académie des Sciences, ayant fait examiner son livre par le père Malebranche, MM. Hamel, Gallois, Dodart, de la Hire et Fontenelle, en décembre 1701, en porta le jugement suivant : "Les pratiques qu'on y combat (dans le livre) sont de pures impostures des hommes". Malebranche avait déjà répondu personnellement au père Lebrun : "Je ne conçois pas des hommes susceptibles de donner dans ces extravagances, le mouvement de la baguette est une chimère".

L'abbé Paramelle qui fut en rapports suivis avec les bacillogires de son époque et qui fit, lui-même, et souvent, des expériences, conclut ainsi l'exposé de ses études: De tout ce que j'ai lu et observé à cet égard, il me reste la croyance:

  • Que cette baguette tourne spontanément entre les mains de certains individus doués d'un tempérament propre à produire cet effet;
  • Que ce mouvement est déterminé par des fluides qui ne peuvent tomber sous nos sens, tel que l'électricité, le magnétisme;
  • Qu'elle tourne différemment sur les endroits où il n'y a pas le moindre filet d'eau souterraine, comme sur ceux où il y en a et que, par conséquent, elle ne peut servir de rien dans l'indication des sources.

M. de Tristan célèbre bacillogire écrivait en 1826: Sur plus de dix mille sources que j'ai indiquées il ne m'est arrivé que deux fois de tomber précisément sur les points que l'on me dit avoir été choisis par des joueurs de baguette, ainsi presque toutes ces indications échouent complètement et le très petit nombre de réussites qui leur arrivent ne sont dues qu'au pur effet du hasard.

Nous venons de passer en revue quelques-uns des négateurs, jugeant sans discussion, mais dont le renom scientifique pouvait donner un certain poids à leurs opinions. Voici, maintenant, des savants qui, de bonne foi, ont étudié la question et qui nous font part de leurs expériences, toutes concluantes dans la négation du surnaturel.

L'analyse de Chevreul

Parmi eux, Chevreul paraît avoir étudié avec le plus de soin et le moins de parti pris. Faisant partie d'une commission nommée le 21 mars 1853 par l'Académie des Sciences pour examiner un mémoire de Riondel du Var sur "la recherche des eaux souterraines au moyen des baguettes divinatoires". Chevreul fit un long rapport dans le "Journal des Savants". Il en écrivit également à Ampère et c'est de la lettre au célèbre Ampère que nous avons extrait le passage suivant:
(Chevreul compare les effets de la baguette à ceux du pendule explorateur, qui a été, de sa part, l'objet de recherches expérimentales). "Le pendule dont je me servis était un anneau de fer suspendu à un fil de chanvre. Il avait été disposé par une personne qui désirait vivement que je vérifiasse moi-même le phénomène qui se manifestait lorsqu'elle le mettait au-dessus de l'eau, d'un bloc de métal ou d'un être vivant. Phénomène dont elle me rendit témoin. Ce ne fut pas, je l'avoue, sans surprise que je le visse reproduire lorsque, ayant saisi moi-même, de la main droite, le fil du pendule, j'eus placé ce dernier au-dessus du mercure de ma cuve pneumato-chimique, d'une enclume, de plusieurs animaux, etc... Sans aucun mouvement mécanique de ma part, le pendule prit, immédiatement des oscillations elliptiques qui se formèrent en cercle et devinrent de plus en plus régulières.

Je conclus de cette expérience, que, s'il n'y avait, comme on me l'assurait, qu'un certain nombre de corps aptes à déterminer les oscillations du pendule, il pouvait arriver qu'en interposant d'autres corps entre les premiers et le pendule en mouvement, celui-là s'arrêterait. Malgré ma présomption, mon étonnement fut grand, lorsque, après avoir pris, de la main gauche, une plaque de verre, un gâteau de résine, etc., et avoir placé un de ces corps entre le mercure et le pendule qui oscillait au dessus, je vis les oscillations diminuer d'amplitude et s'anéantir complètement: elles recommencèrent lorsque le corps intermédiaire eut été retiré, et s'anéantirent de nouveau par l'interposition du même corps. Cette succession de phénomènes se répéta un grand nombre de fois avec une constance vraiment remarquable, soit que le corps intermédiaire fut tenu par moi, soit qu'il le fut par une autre personne. Plus ces effets me paraissaient extraordinaires et plus je sentais le besoin de vérifier s'ils étaient réellement étrangers à tout mouvement musculaire du bras, ainsi qu'on me l'avait affirmé de la manière la plus positive. Cela me conduisit à appuyer le bras droit qui tenait le pendule sur un support de bois que je faisais avancer à volonté de l'épaule à la main et revenir de la main vers l'épaule. Je remarquai bientôt que dans la première circonstance, le mouvement du pendule décroissait d'autant plus que l'appui s'approchait davantage de la main, et qu'il cessait lorsque les doigts qui tenaient le fil étaient eux-mêmes appuyés, tandis que, dans la seconde circonstance l'effet contraire avait lieu, (cependant pour des circonstances égales du support au fil, le mouvement était plus lent qu'auparavant). Je pensai, d'après cela, qu'il était très probable qu'un mouvement musculaire qui avait lieu à mon insu, déterminait le phénomène et je devais d'autant plus prendre cette opinion en considération que j'avais un souvenir, vague à la vérité, d'avoir été dans un état tout particulier lorsque mes yeux suivaient les oscillations que décrivait le pendule que je tenais à la main.

Je refis mes expériences le bras parfaitement libre et je me convainquis que le souvenir dont je viens de parler n'était pas une illusion de mon esprit, car je sentis très bien qu'en même temps que mes yeux suivaient le pendule qui oscillait, il y avait en moi une disposition ou tendance au mouvement qui, tout involontaire qu'elle me semblait, était d'autant plus satisfaisante que le pendule décrivait de plus grands arcs. Dès lors je pensai que, si je répétais les expériences les yeux bandés, les résultats pourraient en être tout différents de ceux que j'observais. C'est précisément ce qui arriva. Pendant que le pendule oscillait au-dessus du mercure, on m'appliqua un bandeau sur les yeux. Le mouvement diminua bientôt, mais quoique les oscillations fussent faibles, elle ne diminuèrent pas sensiblement par la présence des corps qui avaient paru les arrêter dans mes premières expériences. Enfin, à partir du moment ou le pendule fut au repos, je le tins encore pendant un quart d'heure au-dessus du mercure sans qu'il se remit en mouvement, et, dans ce temps là, et toujours à mon insu, on avait interposé et retiré plusieurs fois, soit le plateau de verre, soit le plateau de résine.

Voici comment j'interprète ces phénomènes. Lorsque je tenais le pendule à la main, un mouvement musculaire de mon bras, quoique insensible pour moi, fit sortir le pendule de l'état de repos, et les oscillations une fois commencées furent bientôt augmentées par l'influence que la vue exerça pour me mettre dans cet état particulier de disposition ou tendance au mouvement... Il y a donc une liaison intime établie entre l'exécution de certains mouvements et l'acte de la pensée qui y est relative, quoique cette pensée ne soit pas encore la volonté qui commande aux organes musculaires. C'est en cela que les phénomènes que j'ai décrits me semblent de quelque intérêt pour la psychologie et même pour l'histoire des sciences. Ils prouvent combien il est facile de prendre des illusions pour des réalités, toutes les fois que nous nous occupons de phénomènes où nos organes ont quelque part, et cela dans des conditions qui n'ont pas été analysées suffisamment...

Maintenant, on concevra sans peine comment des hommes de très bonne foi et éclairés d'ailleurs, sont quelquefois portés à recourir à des idées tout à fait chimériques pour expliquer des phénomènes qui ne sortent pas réellement du monde physique que nous connaissons. Je conçois très bien, qu'un homme de bonne foi, dont l'attention tout entière, est fixée sur le mouvement qu'une baguette qu'il tient dans la main peut prendre pour une cause qui lui est inconnue, pourra recevoir de la moindre circonstance, la tendance au mouvement nécessaire pour amener la manifestation du phénomène qui l'occupe...

Une fois convaincu que rien de vraiment extraordinaire n'existait dans les effets qui m'avaient causé tant de surprise, je me suis trouvé dans une disposition si différente de celle où j'étais la première fois que je les observai, que, longtemps après, et à diverses époques, j'ai essayé, mais toujours en vain, de les reproduire.

Et Chevreul continue, s'adressant à Ampère : En invoquant votre témoignage sur un fait qui s'est passé sous vos yeux, il y a plus de 12 ans, je prouverai à mes lecteurs que je ne suis pas la seule personne sur qui la vue ait eu de l'influence pour déterminer les oscillations d'un pendule tenu à la main. Un jour j'étais chez vous avec le général Planta, grand partisan du magnétisme, et plusieurs autres personnes, vous vous rappelez que mes expériences devinrent le sujet de la conversation; que le général manifesta le désir d'en connaître les détails, et, qu'après les lui avoir exposés, il ne dissimula pas combien l'influence de la vue sur le mouvement du pendule, était contraire à toutes ses idées. Sur ma proposition d'en faire lui-même l'expérience, il fut frappé d'étonnement, lorsque après avoir mis la main gauche sur ses yeux, pendant quelques minutes et l'en avoir retiré, ensuite, il vit le pendule qu'il tenait dans la main droite absolument immobile quoiqu'il oscillât avec rapidité au moment où ses yeux avaient cessé de le voir.

Chevreul conclut: Si c'est l'eau souterraine qui fait tourner la baguette dans les mains du sourcier, la baguette doit tourner toutes les fois qu'il y aura de l'eau sous ses pieds dans le terrain. Or, dans les mains des habiles, la baguette tourne le plus souvent au hasard. Dans les mains des croyants, elle tourne aussi au hasard, mais elle ne tourne que quand ils ont les yeux ouverts. Si on fait l'expérience les yeux fermés la baguette ne tourne plus. (Absolument comme le pendule dans les mains de Chevreul et dans celles du général Planta, en présence d'Ampère, de Ballanche et de Dugas-Montbel). Le principe du pendule explorateur montre donc à l'expérimentateur la nécessité d'étudier l'influence de sa pensée sur ses propres organes, lorsqu'ils servent d'intermédiaires entre le monde extérieur et l'entendement, dans l'étude des phénomènes du ressort de la philosophie naturelle. Il montre au philosophe, combien il importe, dans l'intérêt de la vérité, de connaître toute l'influence que la pensée peut avoir sur les organes du corps, sans que cette pensée soit la volonté.

En 1886, Stanislas Meunier étudiant la baguette dans son livre intitulé "Les Sources", se range aux côtés de Chevreul Il écrit. Le bon sens et l'esprit d'équité ont fait justice de ces prétendus découvreurs, de bonne foi, souvent, et victimes d'un phénomène physiologique qu'il ne faut pas nier et dont Chevreul a rendu compte.

Après les observations, études et expériences de tous ces savants, la baguette divinatoire paraissait classée. Il n'en était rien. L'homme reste toujours attaché au merveilleux et si les loups-garous et les feux-follets ont été répudiés, la baguette, elle, a toujours des croyants. Les baguettissants jouissent, de nouveau, en plein XXe siècle, d'un énorme succès.

Et l'on s'est remis à étudier la baguette! Des théories nouvelles ont surgi, des expériences ont été tentées aux quatre coins du monde. La description de ces expériences, et l'exposé de ces théories nouvelles, vont faire l'objet de la deuxième partie de cette étude.

Le professeur Grasset de Montpellier s'exprime, le premier, ainsi: Le pendule explorateur est un instrument qui sert à la divination depuis un temps immémorial. Sans mouvements volontaires et conscients du sujet qui tient le fil, il se meut, frappe un certain nombre de coups... répond à une question dans le même langage que la table tournante. La baguette de coudrier, fourchue ou non sert à découvrir les sources...

Je crois que ces faits peuvent être acceptés comme scientifiquement établis, sans qu'il soit besoin d'avoir recours au surnaturel. Ils sont tous explicables par les notions, aujourd'hui bien étables, sur le psychisme inférieur, c'est-à-dire l'activité psychique inconsciente et involontaire.

Déjà Chevreul avait conclu que le mouvement était produit par une action musculaire involontaire. Dans le cerveau, au-dessous des neurones (centre 0) qui président à la pensée supérieure, au psychisme conscient, il existe un très grand nombre d'autres neurones qui président à la pensée inférieure, au psychisme involontaire et inconscient, ou subconscient, dans le sens de au dessous du seuil de la conscience.

Quand le pendule oscille, quand la baguette divinatoire tourne, ces mouvements n'ont rien de surnaturel ou d'extraordinaire. Ils sont le résultat de contractions musculaires inconscientes et involontaires, et s'il y a des sourciers qui ne font tourner leur baguette qu'au voisinage des sources c'est qu'ils ont, dans leurs centres psychiques inférieurs, des notions inconscientes qui leur font reconnaître la présence de la source.

M. Nodot

Bulletin mensuel de la société des sciences historiques et naturelles de Semur-En-Aussois

Numéro 1 - Février 1930