Le Pendule Oui ou Non

De la Sourcellerie à la Radiesthésie

Des brigandages des Vaudoix aux dernières découvertes de la physique

Claude Haton, qui fut, vers le milieu du seizième siècle, curé du village Le Meriot, près de Nogent-sur-Seine, a rapporté dans ses mémoires les événements qui eurent pour théâtre la région de Provins de 1553 à 1582. Le saint homme relate en particulier les méfaits des Vaudois, dont les bandes n’avaient pas toutes été exterminées par François Ier et qui profitaient des premières guerres de religion pour perpétrer, sous couleur de prosélytisme, de nouvelles et profitables rapines. Celles-ci leur étaient largement facilitées par l'emploi de procédés proprement diaboliques, dont n’avaient pas réussi à les guérir les multiples bûchers allumés à leur intention. Mais voici le récit du curé du Meriot :

« En 1567, à la suite des Huguenots y avait moult de Vaudois et sorciers, ou bien grande partie d’entre eux étaient de ce métier, comme l’expérience le démontra, eux étant en ces pays pruvinois parce qu’en plusieurs maisons, avec leur sort et magie, trouvèrent les biens qu’on avait caches et serrés en divers endroitz, tant dedans terre esdites maisons, estables, jardins, caves, qu’es fumiers de la court d’icelles maisons, chose incroyable à ceux qui n’en ont rien vue.

« Il estait advenu à plusieurs personnes de cacher leur or et leur argent es murailles, en terre et jusques dessoulz les carreaux du foyer, âtre du feu et contrecœur de la cheminée, qui par lesditz Vaudois huguenotz trouvez puis emportes.

« Aultres avaient cousu leur or entre les deux semelles de leurs souliers, qu’ils avaient chaussez et marchaient dessus, ce que bien souvent iceux Vaudois, qui contraignirent les personnes de deschausser lesditz souliers et, en leur présence, les ayant descousus, prenaient l'or qui y estait caché et rendirent les souliers au bonhomme.

« Aultres avaient caché leur financé es liens et drapeaux de petits enfans de la mamelle, on vit lesditz Vaudois eux-mêmes développer lesditz enfans,prendre laditte finance où elle estait et rendre les petits enfans à leurs mères et ainsi en tous lieux où lesditz Vaudois estaient logez.

« Es maisons où n’y avait que les meubles cachez et primet d’argent, prenaient leurs hôtes et hôtesses par la main et les menaient sur le lieu de la cachette et leur demandaient rançon, d’argent, afin de ne rien prendre desditz meubles qu’ils disoient pour certain y estre cachez, on en faulte de ce faire retiraient de la cachette ce qui était serré et le dérobboient et par tels moyens, ruynèrent plusieurs maisons des villages et des villes où ils logèrent.»

Claude Haton, dans son récit savoureux, ne nous donne malheureusement aucune indication sur la méthode dont les Vaudois usait pour parvenir à leurs fins intéressées Ces "sorciers" n’étaient-ils pas déjà des "sourciers", dont chacun sait qu’ils ne bornent pas leur activité à la seule recherche des sources ? Nous aimerions savoir s’il n’y a pas là mieux qu’une amusante analogie avec les travaux de nos modernes sourciers.

Qu’on rapproche, en effet, ce passage des pittoresques mémoires du pasteur "pruvinois" avec cet exploit d’un autre Vaudois (oh ! pas un disciple de Valdo), le très orthodoxe et fort célèbre abbé Mermet, ancien curé de SaintPrex dans le canton de Vaud, en Suisse, tel qu’il nous le conte dans son livre "Comment j'opère" :

« A Sédeilles (Vaud), cherchant de l’eau pour la commune et n’en trouvant pas qui fût captable, je dis au président de commune qui m’accompagnait : « Monsieur le syndic, par ici on trouverait plus facilement de l’or que de l’eau. » En effet, je venais d’aviser deux moissonneurs dont l’un me paraissait porter de l’or sur lui. Nous nous approchons et comme j’annonçais à l’un d’eux qu’il avait de l’or sur lui, il me répondit d’une petit air goguenard : « Je ne sais pas où je le tiendrais cet or avec les habits que je porte (il n’avait, en effet, que son pantalon...). J’insiste, il nie carrément avoir de l’or sur lui et un peu plus il se serait fâché croyant que je voulais me moquer de lui. Et pour finir il me dit : « Eh bien ! si vous saivez où je tiens de l’or, prenez-le. » Et je mettais aussitôt la main sur la ceinture de son pantalon. « Et ça, lui dis-je, n’est-ce pas de l’or ? » Je venais, en effet, de lui rappeler soudainement une chose qu’il avait complètement oubliée : c’est que, à son départ pour la frontière, à la mobilisation d’août 1914, sa mère lui avait cousu un louis d’or dans la ceinture de son pantalon, comme dernière ressource en cas de besoin. Et comme il n’avait jamais manqué d’argent, il avait, à son retour, totalement oublié son louis d’or.

N’est-ce pas que l’analogie est frappante ? Mais plus heureux que les ouailles de Claude Haton, le mois sonneur de Sédeilles s’est vu rendre, si l’on peut dire, par un sourcier, le contenu oublié de sa trop secrète tirelire. Pas si secrète, d’ailleurs, puisqu’elle fut décelée par le pendule de M. l'abbé Mcrmet.

Sourcellerie

Sourciers du temps passé

L’exemple des Vaudois pillards n’est pas le seul qui nous montre que la sourcellerie ne devait pas être ignorée dans des temps où l’on avait plus vite fait de l’apparenter à la sorcellerie, la laissant en bénéfice aux charlatans et aux marchands de sortilèges, que de s’essayer à l’utiliser pour des fins honnêtes. Cependant, vers la même époque, en 1556, une gravure de la Cosmographie universelle, de Sébastien Munster, représente un homme découvrant du charbon à l’aide d’une baguette. Est-ce cette indication précieuse venue d’Allemagne que recueillirent les sourciers qui, au dix-huitième siècle, guidèrent, dans le Nord de la France et en Belgique, les premières exploitations de houillères ? En tout cas, au dix-septième siècle et surtout au dix huitième siècle, les adeptes de la baguette se multiplient et il apparaît qu’on faisait appel à eux assez couramment. En 1745, la mère du lieutenant de l’élection d’Issoire mourait sans laisser de fortune apparente alors qu’on la savait riche. Son fils s’adressa à un sourcier de Gemeaux-sur-Allier pour rechercher le magot. Il le fit prier par un de ses amis en ces ter mes : « M. Gleize, lieutenant de notre élection, vient me prier de vous engager à venir jusqu’à Perrier, dimanche prochain, pour faire jouer votre baguette.

Par des minutes notariales, le nom de ce sourcier est parvenu jusqu’à nous. Il s’appelait Beyssat et construisait des bateaux. D’autres sourciers ont vaincu l’anonymat, qui étaient plus sensibles que d’autres et qui s’étaient imposés à l’attention. Mais le monde sa vant — déjà — les ignorait et les méprisait. Fontenelle, au nom de l’Académie des sciences, déclarait, en 1701, à propos de l’un d’entre eux : « Ces pratiques sont de pures impostures des hommes ou doivent avoir des causes qui ne peuvent être rapportées à la physique ». En 1772, l’astronome Lalande parlait, à propos d’un autre, de « l’étrange crédulité et même de la stupidité du peuple ».

En 1034, Fontenelle et Lalande sont toujours vivants...

Tradition et science

Si, au début de cette enquête qui sera nécessairement fort sommaire, nous nous attardons un peu dans le passé d’une science qui, avant de devenir telle, fut par les meilleurs esprits considérée comme une forme de la magie, c’est d’abord pour rester fidèle au titre que nous lui avons donnée : de la sourcellerie à la radiesthésie C’est aussi pour qu’on saisisse dès l’abord ce qui est à la fois le vice et la vertu de cette nouvelle science, ce qui fait en même temps sa faiblesse et sa force.

Au contraire de la plupart des découvertes modernes, la radiesthésie n’est pas un produit de laboratoire, le fruit d’un génie individuel, l’expérimentation partiemment renouvelée dans le demi-secret du monde scientifique avant d’être publiée et vulgarisée et s’imposant par cet attrait de l’inédit qui a facilité, depuis un quart de siècle, le crédit des inventions nouvelles. La radiesthésie — qui profite déjà du vernis de ce mot nouveau qui se substitue à ceux de sourcellerie et de rabdomancie et dont l’allure savante fait impression — la radiesthésie, malheureusement pour elle, a une tradition, tout un passé. Elle naît, vit, grandti, prospère loin des instituts confinés, en plein vent, un peu à la diable. Elle ne réclame ni thèse, ni peau d’âne. Ses protagonistes, ses maîtres, ne portent point de bonnet carré ; ce sont des amateurs ; chacun a sa méthode, voire ses théories personnelles. La radiesthésie, c’est une ivraie, une mauvaise herbe à arracher, pensent certains, dans le champ bien sarclé des sciences physiques.

Ce passé, cette tradition, sans eux pourtant la radiesthésie existerait-elle ?

Nous n’en savons rien, mais nous pensons cependant qu’il aurait fallu attendre de nombreuses décades avant d’accéder à ce monde inconnu et passionnant au seuil duquel elle nous a, en dépit du bon sens et comme à hue et à dia, insensiblement conduits.

C’est parce que des sourciers se sont contentés d’utiliser, sans chercher plus loin, le don qu’ils s’étaient découvert, que leurs successeurs, plus curieux, peuvent maintenant rattacher leurs sensations, leurs observations, leurs expériences aux phénomènes des radiations et des vibrations, autour desquels s’organise toute la Physique moderne. Pour avoir installé son laboratoire comme un éventaire en plein vent, le sourcier a stimulé le vendeur installé derrière sa vitrine et, des leçons du camelot, du bonimenteur (honni soit qui mal y pense), c’est le commerçant patenté qui a finalement fait son profit.

Le pittoresque, par contre, y perd beaucoup. Cela n’est pas nouveau et les degrés que l’on monte vers le progrès, on les descend vers la banalité : De la diligence à "l'arpajonnais", de celui-ci à l’autobus...

La silhouette classique du sourcier arpentant la campagne les bras collés au corps, les avant-bras tordus, les paumes dressées vers le ciel et retenant entre elles une branche fourchue de noisetier, l’air un peu illuminé, cette silhouette a fait place à l’attitude précautionneuse et soucieuse du sourcier à pendule, avançant à pas mesurés, un bras tendu en antenne et suivant sans ciller les tressaillements de son instrument. Et le temps n’est pas loin où le sourcier viendra installer ses appareils, qu’on aura dotés de noms savants, puis notera sur un calepin les indications des aiguilles. Mais n’anticipons pas..

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Faut-il reprendre notre promenade dans le passé ? Oui, nous irons vite. Le dédain hautain de Lalande n’arrêta pas les sourciers. Le chimiste Chevreul n’eut pas plus de succès, dont l’opposition au pendule s’escrima en vains efforts pendant cinquante années du dix-neuvième siècle. Il avait pourtant consenti à se livrer à certaines expériences. L’exemple fut suivi par d’autres moins prévenus contre les sourciers. Une élite s’intéressa à la baguette. Sa bonne foi était plus difficilement soupçonnable. Elle eut, toutes les audaces et tint un Congrès à Paris, en 1913. Ce fut le premier coup de trompette devant la Jéricho, scientifique. Les murailles ne s’écroulèrent pas (il en reste encore debout) mais une brèche fut ouverte. L’Académie des sciences désigna une "commission de la baguette des sourciers" qui se reconstitua après la guerre avec MM. d’Arsonval, Branly, Charles Richet, Termier notamment.

Parallèlement, la physique se familiarisait avec ondes et radiations, dont la T. S. F. et les rayons X, en particulier, vulgarisaient les applications. De parallèles, les voies deviennent convergentes et la fée électricité y promène également ses fantaisies.

L’ambition du pendule

Le classique prospecteur de sources et de métaux aurait dû se montrer satisfait et borner là son ambition. Pensez-vous ! Ne voilà-t-il pas qu’en passe de se réconcilier avec les physiciens, il va se mettre à dos les médecins. Car le pendule se mêle d’établir des diagnostics et s’il ne va pas jusqu’à donner des consultations, c’est sans doute par crainte des poursuites.

Peuh ! il tourne la difficulté et convertit les médecins.

On recourt à lui dans mille circonstances, il confond les géologues et ne sont privés d’eau que les gens qui le veulent bien. Il déconseille ceux qui veulent puiser du pétrole dans notre sol ingrat. Il opère la sélection des semences, les ossements lui disent leur âge et on voudrait qu’il découvrit tous les trésors que l’imagination a enfouis au cours des siècles. Si sa puissance n’est pas encore absolument officielle, elle est reconnue, admirée, sollicitée et fort souvent, ma foi, coquettement rémunérée. Va-t-il s’arrêter ?

Las !... Mais aurait-il donc, au vrai, le diable au corps ? Et notre curé Haton aurait-il vu juste ? Au risque de remettre tout en question et de s’aliéner à tout jamais, cette fois, la gent laborantine (profitons du néologisme consacré par M. Paul Bourget), notre pendule, atteint par la loi du moindre effort, invente la téléprospection, la téléradiesthésie !

Sans sortir de chez lui, devant une carte ou un plan, le sourcier découvre de l’eau, en indiquant débit et profondeur ; devant une photographie, il révèle quantité de détails indiscrets. Et ici, chose plus grave, tous les sourciers ne sont pas d’accord. Il y en a qui, effrayés ou essoufflés, ne suivent pas. Ils préfèrent garder les positions si chèrement acquises. Quoi qu’il en soit, la science officielle, décidément amadouée, ne regimbe pas trop. Et puis elle est femme, donc curieuse. De plus, avec l’âge, elle est revenue de bien des choses et d’abord de ces dogmes qui semblaient redoutables vers les années 80 et qui depuis... La téléradiesthésie elle-même ne l’effraye pas.

De la sourcellerie à la radiesthésie... J’en demande pardon à l’aînée, au surplus déjà bien connue, mais c’est vers la cadette que cette rapide enquête nous a mené de préférence. Nous n’avons pas suivi le sourcier dans les prés et dans les bois. Nous sommes allé l’interroger dans son cabinet, au moment où le troisième Congrès international de Radiesthésie commence ses travaux à Lausanne. ( A suivre.)

Louis Terrenoire

L’Aube, 19 septembre 1934