Le Pendule Oui ou Non

Comment opérer en radiesthésie ?

Vouloir connaître ce qui lui est caché fut, dit la Bible, le premier péché du premier homme. Pour réaliser ce désir, Adam croqua la pomme que lui tendit Eve; mais bien d'autres moyens ont été utilisés depuis : Les entrailles des victimes, le marc le café, la baguette, ont servi d’indicateurs pour atteindre le but rêvé; le plus utilisé, actuellement, est le pendule. Le développement de nos connaissances sur les phénomènes mutuels a conduit les profanes à généraliser une propriété découverte par Becquerel et par Curie dans quelques très rares corps, l’émission d’une radiation spéciale susceptible d'agir à distance sur d’autres corps. Je dis a conduit les profanes, car le scientifique ne procède généralement pas ainsi : Il observe d’abord, et quand la relation entre deux phénomènes est bien établie, il modifie les conditions expérimentale pour en trouver les lois. C'est ainsi que la radioactivité, les rayons cathodiques, les rayons X, ont été étudiés, longtemps avant qu’il en soit donné une explication.

Sourcellerie

Il y a douze ans...

J'ai commencé, il y a une douzaine d'années, à m’intéresser à l’existence d'une relation entre la nature d’un corps et le mouvement d'un indicateur, baguette ou pendule. J’éprouvai d’abord une vive déception en apprenant qu'il n’existe aucun moyen de manifester cette relation sans utiliser comme Intermédiaire quelque organe du toucher. Par exemple, le pendule reste invariablement au repos s’il n’est pas en communication, par son fil ou son support, avec un doigt de l'opérateur : le mouvement observé peut, d’ailleurs, toujours être produit volontairement par l'opérateur dans la position où el est placé pour l’étude; toute disposition qui rend impossible un mouvement volontaire supprime aussi le mouvement observé. Le récent dispositif de M. Treyve ne fait pas exception à cette règle.

Dans tous les cas, le système nerveux du pendulisant est actuellement un chaînon indispensable dans lu manifestation des phénomènes de radiesthésie. C’est là une difficulté considérable pour l'expérimentation scientifique parce que le phénomène observé (déplacement de la baguette ou du pendule) peut avoir, soit une cause extérieure, une action du corps étudié sur le corps mobile ou sur l'opérateur, soit une cause intérieure, un réflexe nerveux de l’opérateur traduisant involontairement sa pensée. Cette seconde couse de mouvement est bien connue des opérateurs : Ils reconnaissent tous que le mouvement du pendule peut être influencé par la pensée de celui qui le tient. En 1852, Chevreul, de l'Académie des sciences, étudia le pendule magique déjà utilisé par les magnétiseurs et les voyantes. Il montra que le bras qui tient le pendule exécute des mouvements involontaires traduisant la pensée de l'opérateur. On connaît de nombreuses expériences illustrant cette action réflexe.

L’opérateur ne peut être inerte

On dit que l’opérateur de radiesthésie s'efforce d'être un corps inerte faisant abstraction de ce qu'il sait. Je trouve que c'est là une plaisanterie; J’utilise souvent l’éponge à tableau noir, mais je ne connais pas l'éponge à méninge. Quand je présente le pendule sur une image de Napoléon, je n’arrive pas à me convaincre que j’ignore s’il est mort. Aussi, je trouve un peu enfantines les expériences du type suivant pour me prouver l'action radiesthésique, un monsieur me montre que le pendule oscille dans un sens sur sa main, dans le sens transversal sur la main de sa femme. Je lui montre que les mouvements sont inversés plutôt à son gré quand Je tiens le pendule. « C'est vous, me dit-il, qui faites osciller. J’en conviens, mais quelle preuve que ce n'est pas vous aussi qui le faites osciller. Une première condition à réaliser, pour qu’une démonstration de radiesthésie ait un sens, c'est que l’opérateur ne puisse pas traduire inconsciemment une idée existant dans son cerveau. La condition est facile à réaliser : Il faut qu'il ne puisse avoir aucun renseignement sur le résultat, ni avant, ni pendant l’expérience. Alors, on se trouvera peut-être en présence d’un fait scientifique, méritant d'être étudié. Dans cette étude, il y aura encore bien des pièges à éviter, car la nature est rebelle, comme disent les Jeunes chercheurs. Je prendrai pour exemples quelques erreurs Scientifiques célèbres.

Un peu d’histoire

Vers le milieu du dix-huitième siècle, quand on commença à faire des expériences publiques avec l’électricité de frottement, les médecins Italiens découvrirent une méthode de guérison merveilleuse qu'ils appelèrent la méthode des enduits (intonacalure). La drogue susceptible d’agir sur l'organisme servait à enduire intérieurement un tube de verre; on électrisait le tube par frottement et on le posait sur la main du malade. La vertu curative était entrainée par l’électricité dans l’organisme sans imposer au malade le dégoût d’absorber une médecine. "La purge par la main" donna lieu à de nombreuses publicitions. Malheureusement, personne en France ne réussissait à appliquer la méthode. L'abbé Nollet, maître de physique du Dauphin, alla a Turin, à Venise, pour voir ces effets merveilleux; sur trente cas de purge par la main, auxquels il assista, il ne constata de purgation que dans un seul cas : Un garçon de cuisine qui avoua avoir pris du bouillon de chicorée. Après cinq ans, les médecins Italiens reconnurent qu'ils avaient été trompés.

En 1825, Arago découvrit qu’un disque métallique en mouvement entraîne une aiguille aimantée : Au lieu d’étudier attentivement le phénomène; ce qui eût conduit à la découverte des phénomènes d'induction, faite par Faraday, quatre ans plus tard, il voulu l’expliquer d’abord : Il imagina que le mouvement du métal lui donnait un état de magnétisme spécial : le magnétisme en mouvement. L'idée de généralisation engendra immédiatement de nombreux résultats inexacts; on annonça que le bois, l’eau, l’air même produisaient du magnétisme de mouvement. L'impossibilité de reproduire ces derniers résultats les fit bientôt condamner comme erreur, surtout quand Faraday eut donné la cause du phénomène dans le cas des métaux où les résultats d'Arago étaient exacts et contrôlés.

Une célèbre erreur scientifique plus récente encore, car je l’ai vécue, est l'histoire des rayons N. Elle semble avoir une parenté si étroite avec la radiesthésie, que je veux la conter ici. En 1904, Blondlot, professeur à la Faculté des sciences de Nancy, membre correspondant de l'Institut, découvrit que les manchons d’éclairage par incandescence, les limes, le verre trempé et beaucoup d’autres corps, émettaient des rayons spéciaux qu’il appela "rayons N". Ces rayons se manifestaient par la phosphorescence d'une couche de sulfure de calcium étalée sur un carton. On était alors dans la grande période de découverte de nouveaux rayons (rayons X, rayons de Becquerel); aussi, les expériences furent-elles répétées dans tous les laboratoires du monde, mais presque toujours sans succès. Le grand maître de la physique en France, Mascart, fut parmi les privilégiés qui perçurent le phénomène : Son autorité augmenta l’ardeur des recherches. Le doyen de la Faculté des sciences de Nancy, Bichat, fit des conférences pour montrer le nouveau rayonnement dont il mesurait la déviation par un prisme d’aluminium. A l’une de ses conférences, à Paris, après avoir dans l’obscurité, trouvé des rayons N, exactement dans la direction où le prisme les déviait toujours, Bichat eut la surprise de constater que le prisme avait été enlevé; il se tira d’affaire en imaginant la "rémanence"; l’écran manifestait encore les rayons là où ils avaient été. L’explication parut suspecte, les recherches devinrent plus attentives et, finalement, l’on reconnut, après deux uns, que les expérimentateurs trouvaient le rayonnement là où ils supposaient son existence; l’augmentation de lueur de l’écran phosphorescent était une illusion; il n’y avait pas de rayon N. Une enquête de la "Revue Scientifique" (1906) mit fin à l'erreur.

Voir pour croire

L’erreur scientifique, même chez les gens les plus qualifiés, est ainsi loin d'être une exception, mais elle a un caractère spécial; elle ne peut pas durer. Il n’y a, en effet, en science, ni dogme, ni homme à suivre sans examen. La devise est non pas "croire et opeir", mais au contraire "voir pour croire". Toute vérité doit être contrôlable par tous et partout. J’entends, ici, les vérités de fait, véritable joyaux qui nous acheminent lentement vers la connaissance de la nature, et non les explications, les théories, simples écrins plus ou moins dorés, où l’homme enferme ses trésors pour les classer et qu’il change ou répare suivant ses goûts. Quand Thalès de Milet il y à vingt-six siècles, découvrit la production d'électricité par frottement, il trouva un joyau scientifique que l'on fait encore, aujourd'hui, contrôler dans les écoles; les explications de l’électricité par l’effluence, par deux ou par un fluide, par les électrons, ne sont que des écrins mis successivement aux ordures à mesures qu'ils perdent leur dorure.

Instruits par les exemples précédents, ne nous ratons pas de considérer la radiesthésie comme une nouvelle acquisition scientifique. Cherchons d'abord à nous assurer qu'il y a radiesthésie, c'est-à-dire radiations et esthésie (sensibilité). Que le pendule prenne toujours le même mouvement en présence des mêmes corps "connus", ne prouve rien, puisque ce mouvement peut avoir deux causes. L’identité de mouvement se produira aussi bien, qu’elle soit un réflexe de l’opérateur averti ou le résultat d’une radiation. Une étude sérieuse doit commencer par séparer ces deux causes. Il est reconnu que la volonté de l’opérateur peut intervenir seule; il faut chercher si le mouvement se produit quand elle ne peut pas intervenir, quand l’opérateur ignore "certainement" le résultat. Malheureusement, tous les traités de radiesthésie que je connais présentent cette étude sous une forme absolument antiscientifique. Ils commencent par "admettre", en s'appuyant sur des analogies plus ou moins drôles, que la radiation existe, puis ils "admettent" que le mouvement du pendule en est la manifestation. Ces deux hypothèses sont suivies d’une série de recettes n'ayant aucun rapport avec elles. A l’appui de ces recettes, on cite un grand nombre d'anecdotes, comme dans les prospectus de pilules A, de comprimés B, de sels C. Mais il ne faut pas chercher à vérifier les succès cités.

Au cours d'un séjour à Arcachon, j’eus l’indiscrétion de vouloir vérifier une certaine histoire de gaz de pétrole; Je trouvai que la découverte faite par l'opérateur en 1922 était connue depuis 1912 et devint de notoriété publique sitôt après la guerre. En 1921, elle donna même lieu à la constitution d'une société "Florida" répandant à profusion ses prospectus tus pour l'exploitation du gaz combustible (Méthane) trouvé dans une trentaine de puits aux Abatilles. Quel dommage que l'un de ces prospéctus ne soit pas tombé entre tes mains de "personne qui connaissait le pays" dit-il, il eût perdu une occasion de découvrir la lune.

Dans les limites des lois du hasard

Depuis douze ans, J'ai pu voir et contrôler une centaine d'expériences. Quand l’opérateur ne pouvait avoir aucune présomption de résultat, il tombait juste seulement dans les limites des lois du hasard. Tout se passait comme si l’indication du pendule ou de la baguette n’avait aucun rapport avec la présence du corps étudié, comme si le résultat annoncé avait été simplement tiré au hasard. Peut-Être n’ai-je rencontré, Jusqu'il ici, que des élèves en radiesthésie, possédant incomplètement la science qu'ils voulaient appliquer malgré la réputation de maître dont quelques-uns jouissaient. Très désireux de pouvoir trouver le sujet sensible aux radiations des corps extérieurs, je demande aux personnes qui se sont trouvées bien douées d’entrer en correspondance avec moi. Nous arrêterions ensemble les conditions à réaliser pour certain nombre d’expériences privées. Celles-ci porteraient "exclusivement" sur des faits physiques aboutissant à des résultats inconnus a priori des personnes présentes mais "immédiatement contrôlables". Je fixe les idées par un exemple : Dix boites identiques sont d’abord essayées pour la rémanence; on dispose de plusieurs échantillons d’un corps, solide ou liquide, au choix de l’opérateur; on les répartit dans quelques boites, en plaçant dans les autres un corps convenu très différent mais de même poids. Les boites, enveloppées de façon identique, sont placées dans une caisse et retirées successivement : L’opérateur place chaque boite dans l’orientation qui lui plait et indique ce qu’il y trouve, puis on vérifie. Trouver les pôles d’un aimant, d’une pile, le sexe contrôlable d’un animal non visible, peut donner lieu aussi à des expériences concluantes. Habitué à ne constater que des succès, je suis obligé de prendre des mesures pour ne pas consacrer à ces recherches un temps excessif. Quand il n’y a que deux solutions possibles, le hasard seul donnerait en moyenne un succès sur deux épreuves, soit cinq succès sur dix épreuves : Si l’opérateur obtient huit succès sur dix épreuves, J’estimerai possible que le hasard n’intervienne pas seul dans sa détermination; je serai heureux de continuer les expériences en m’engageant a rémunérer personnellement les séances ultérieures.

Une épreuve à tenter

Je sais que bien des adeptes vont dire : "c’est l’enfance de l’art", parce qu’ils sont entraînés à appliquer leurs recettes dans des cas où les résultats sont connus ou non contrôlables. C’est ce que nous appelons en sciences physiques, des "expériences de cours". Je leur propose une épreuve plus difficile mais plus probante et plus utile, des "travaux pratiques" : Il faut découvrir un résultat inconnu et le contrôler. Ce genre d’épreuve s’impose pour des connaissances qui doivent être mises tous les jours en pratique. J’engage les opérateurs à faire des essais préalables en se plaçant dans les conditions où ils n’ont aucune présomption du résultat, en notant sincèrement "tous" les résultats.

Puisse la collaboration bienveillante des adeptes bien doués de la radiesthésie me permettre de démontrer que les succès ne sont pas exclusivement dus à l’habileté de l’opérateur, sachant bien utiliser ses yeux et ses oreilles, d’affirmer que l'indicateur, baguette ou pendule, n'est pas un simple gri-gris sans Intérêt scientifique.

J. Guinchant, Professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux

La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, 17 octobre 1935