Le Pendule Oui ou Non

La radiesthésie

Je suis contre

Un crime est commis... Un enfant disparaît... Un avion s'engouffre dans l'océan.... Un trésor doit être retrouvé...
Mettez dix radiesthésistes sur la piste : Ils aboutiront à dix résultats différents, déclarent les adversaires du pendule.

Utilisation du pendule sur carte

La semaine dernière, nous vous avons transmis les affirmations d'un radiesthésiste convaincu. Voici, aujourd'hui, l'opinion d'un de ses adversaires : M. B...

M. B..., qui jouit d'une belle formation scientifique, s'est attaché depuis des années à démêler le vrai du faux on matière de radiesthésie. Aujourd'hui son opinion est faite : la radiesthésie n'est qu'un leurre. Elle ne donne pas plus de résultats que le simple hasard, et ceux qui s'y livrent — presque tous de très bonne foi, à son avis — font fausse route.

M. B... nous semblait tout indiqué pour fournir la contrepartie au point de vue de M. L..., qui nous avait obligeamment exposé les raisons de sa croyance en la radiesthésie.

Chez les « contre »

— J'avoue que la radiesthésie est pleine de séduction. Et l'une des raisons de son succès — la principale, peut-être — c'est qu'elle satisfait ce besoin de merveilleux qui sommeille au fond des esprits les plus positifs. La crédulité humaine, n'en parlons pas : Elle est insondable. Mais voyez à quel point les jeux de hasard ont de sucres auprès des foules. On croit donc au hasard, et cette croyance ne va jamais sans un peu de superstition. On croit même aux fakirs, devins, tireuses de cartes et autres augures !... Comment voulez-vous, dans ces conditions, qu'on ne croie pas au don divinatoire de la baguette et du pendule, qui de nos jours se dissimule derrière le masque austère de la science ?

— C'est à nous, scientifiques, qu'il appartient de démasquer la radiesthésie, qui ne résiste pas à un examen sérieux, et se révèle bientôt comme une proche parente de la magie.

— On dirait, d'ailleurs, que les radiesthésistes les plus convaincus redoutent les expériences contrôlées, car j'ai remarqué bien souvent qu'ils s'y dérobaient, ayant toujours de bonnes raisons à fournir pour ne o s'y soumettre. Et si, dans le cas où ils ont subi une épreuve, ils sont bien obligés de constater leur échec, ils ont également des tas de bonnes raisons dans leur sac pour l'expliquer. C'est ce que le docteur Robert Rendu, un des adversaires les plus qualifiés de la radiesthésie, nomme les « positions de repli » des radiesthésistes.

— Je ne m'arrête pas un instant, bien entendu, aux fumistes, qui ne sont que des exploiteurs — parfaitement convaincus de l'inanité de leurs pratiques — de la crédulité humaine. Ceux-là sont à classer avec les prétendus fakirs et les pythonisses. Seuls m'intéressent les gens de bonne foi — ils sont nombreux — qui s'acharnent à découvrir des vertus au pendule, et qui illusionnent les autres après s'être illusionnés eux-mêmes.

L'expérience du docteur Rendu

— Avez-vous eu vent de la célèbre expérience de recherche à distance que fit le docteur Rendu en 1035 ? Non ? Elle consistait en ceci :

— 56 médailles d'argent, d'un poids total de 850 grammes, devaient, dans un appartement de dix pièces, être changées tous les trois jours de pièce pendant un mois. La masse métallique, au cours de ces trente jours, aurait donc accompli un voyage dont chacune des pièces de l'appartement aurait formé une étape.

— Avant de commencer l'expérience, un plan orienté de l'appartement fut fourni aux 86 radiesthésistes qui avaient consenti à se soumettre à celte épreuve, et qui devaient, par toutes les méthodes de radiesthésie qu'il leur plairait d'adopter, déterminer les dix emplacements successifs de la masse d'argent.

— Or, les résultats furent probants : Pas un des 86 concurrents (l'expérience eut lieu sous forme de concours) ne fut capable de reconstituer le trajet suivi par les médailles. En moyenne, ils ne trouvèrent qu'un emplacement sur dix, c'est-à-dire ce que prévoyait le simple calcul des probabilités. Donc, le pendule n'avait fait qu'obéir aux seules lois du hasard, et il était avéré que les chimériques radiations émises par la masse métallique ne l'avaient en rien influencé.

— Naturellement, les « pendulisants » invoquèrent, pour justifier leur échec, toutes sortes de bonnes excuses. L'un déclara que les recherches collectives ne donnent jamais de bons résultats, les ondes étant brouillées par toutes ces pensées convergentes ! Un autre fit cette découverte que l'expérience avait échoué parce que les concurrents n'étaient pas munis d'un « témoin » (échantillon de la matière cherchée), c'est-à-dire, en l'occurrence, d'une pièce d'argent en tout semblable à celles que l'on avait promenées de chambre en chambre. Un autre encore invoqua le phénomène de la rémanence, qui est la persistance, dans l'endroit où a séjourné un corps, des radiations émises par ce corps... Admirable échappatoire !

— Les radiesthésistes ne veulent jamais avoir tort, et c'est bien là leur principal tort. On ne suspecte pas leur bonne foi envers les autres, mais on se demande s'ils sont toujours de bonne foi envers eux-mêmes...

La pièce de vingt sous

— A-t-on fait souvent de semblables expériences ?

— J'en ai pratiqué moi-même quelques-unes, qui toutes m'ont donné la preuve de la totale impuissance des radiesthésistes. Voici la plus amusante :

— L'un de mes amis, radiesthésiste, s'étant fait fort devant moi de retrouver des objets perdus, je le conviai à mettre la main sur une pièce de vingt sous que je prétendais avoir dissimulée sous le tapis de mon salon.

— Sans se faire prier, l'ami en question prit son pendule d'une main, une pièce « témoin » de l'autre, et, s'étant mis à quatre pattes, commença ses investigations.

— Au bout de cinq minutes de recherches, il m'annonça triomphalement :

— Elle est là !

— Je le détrompai, alors, car je n'avais caché aucune pièce !

— Bien entendu, X.,. était fort déconfit et m'en voulait de l'avoir berné. Eh bien savez-vous ce qu'il m'a dit ? Que même si l'expérience n'avait pas été truquée elle n'aurait pas réussi, parce que j'étais un « négatif »... Entendez par là un sceptique, un « empêcheur de penduler en rond », quoi !

— Les radiesthésistes — et c'est là un de leurs grands arguments quand on les met au pied du mur — prétendent que le seul fait de provoquer une expérience suffit à la faire échouer. Leur pouvoir est inopérant quand on les fait travailler pour la frime.

— Je crois, moi, qu'il entre beaucoup de superstition dans leur « art »; et mon ami, avec sa pièce de vingt sous à la main, qui promenait son pendule sur les fleurs de mon tapis, me rappelait ces gens crédules qui, le jour de la Chandeleur, mangent des crêpes en tenant une pièce de monnaie dans la main afin d'avoir de l'argent toute l'année !

— Ce même ami, ayant reconnu la présence, dans mon appartement, de fluides néfastes, eut soin d'accrocher à un radiateur une sorte de rond de serviette en carton, destiné à neutraliser ces radiations.

— Pendant plusieurs mois, impressionné par son assurance, je n'eus garde d'ôter le « rond de serviette », et quand on s'étonnait de la présence de ce petit accessoire, j'avoue que je n'osais l'expliquer.

— Cette année-la, j'eus le rhume des foins comme les autres années, et de dépit j'arrachai le peu décoratif « rond de serviette ». Inutile de vous dire que je ne constatais jamais, par la suite, le moindre changement dans mon état de santé. Une duperie inconsciente.

— Comment expliquer, alors, les résultats indéniables qu'obtiennent certains sourciers ?

— Il peut leur arriver, par hasard, de tomber juste.

Mais les sourciers expérimentés savent s'entourer de toutes les précautions extra-radiesthésiques susceptibles de les aider dans leurs recherches. Ainsi, un sourcier digne de ce nom a au moins des notions de géologie, d'hydrographie, de botanique, et sait lire une carte. C'est surtout grâce à ces connaissances qu'il peut arriver à déterminer la présence de l'eau. Mais, dans ce cas, n'importe quel puisatier ferait aussi bien que lui.

— Il en est de l'art du sourcier comme de celui du devin, qui prédit l'avenir d'après le présent et le passé, en s'aidant de toutes les données qu'il peut grappiller çà et là. Toute autre méthode est du domaine de la pure fantaisie.

— Avez-vous essaye de confronter les prédictions de plusieurs diseuses de bonne aventure ? Elles seront toutes fatalement contradictoires. Vous pourrez faire la même constatation si, voire voiture vous ayant été volée, par exemple, vous vous adressez à plusieurs radiesthésistes pour savoir où elle se trouve. L'un vous dira qu'elle est dans le Nord, l'autre dans le Midi, un troisième à Nancy, un quatrième à Saint Brieuc, et elle sera retrouvée à Paris !

— En outre, vous oubliez que pour un succès crié sur les toits, il y a quantité d'échecs passés sous silence.

— Ah ! Je sais bien que pour ceux qui croient à la radiesthésie, il est dur d'avouer qu'on s'est trompé, et surtout qu'on se trompe à tout coup. Il semble même que les échecs portent les baguettisants à s'acharner davantage. Pour ceux qui les regardent faire et les encouragent, il est cruel également d'être obligé de renoncer à un aussi séduisant spectacle.

— Le public ne demande qu'à être dupé; et quand on veut l'en empêcher, il regimbe, lui aussi, contre la tyrannie de la plate évidence.

La radiesthésie est-elle toujours inoffensive ?

C'est la question que je posai alors à M. B... Mon interlocuteur prit une mine sérieuse :

— Non. Et il ne suffit pas d'en rire. Il faut aussi la condamner comme une pratique dangereuse. Beaucoup de radiesthésistes qui ne sont pas médecins pratiquent, en effet, sans toujours s'en rendre compte, la médecine illégalement. Or, les conseils qu'ils distribuent à tort et à travers peuvent être gros de conséquences pour les malades. Mais, là encore, il est difficile de mettre le public en garde contre ces empiriques. On ne sait pourquoi, l'empirique inspire plus facilement confiance que l'homme de science !

— La recherche d'un coupable, quel qu'il soit, à l'aide du pendule, est également un procédé stupide et dangereux. Il n'est pas de meilleur moyen pour aiguiller les soupçons sur un innocent.

— Le sont de tels abus qui tirent condamner la rabdomancie au XVIIIe siècle.

— Enfin, le « pendulisme » est une manie qui peut très bien troubler les méninges de certains individus, inconscients de leur ridicule, et prêts à commettre toutes les folies au nom de leur cher instrument.

Voici terminée notre enquête chez les « pour » et chez les « contre ».

Nous nous garderons bien de conclure. Tel n'est pas notre rôle, qui doit se borner à celui d'informateur, strictement. Cependant, chères lectrices, nous nous permettrons une remarque : Il nous semble que les aiguilles à tricoter feront mieux, entre vos doigts, que les deux brins d'une « baguette ». Celle-ci risquerait de vous faire passer pour une sorcière, tandis que les aiguilles feront dire de vous : Quelle fée !

Louis Sonneville

Nouveauté, 11 septembre 1938